Le front des cathédrales
L’expression est de Georges Bernanos.
Bernanos, qui écrivait: « La France est le pays des cathédrales, des saints, des héros, des fous. » La cathédrale des cathédrales en France, Notre-Dame de Paris, proie des flammes, s’est effondrée, le 15 avril 2019. Elle s’est effondrée le mardi de la semaine de Pâques. Il devait y avoir, le 21 mai 2019 à Notre-Dame de Paris une « veillée de prière pour la vie », le 19 avril il devait y avoir un chemin de Croix sur le parvis de Notre-Dame. Et puis, d’avril à mai était programmée toute une série de conférences sur Georges Bernanos, écrivain chrétien, « théologien de la sainteté », auteur du Journal d’un curé de campagne, ce curé pour qui « Tout est grâce ». Le 29 avril devait commencer un cycle de conférences de Mgr Chauvet sur Georges Bernanos « prophète de notre temps » (notre temps caractérisé pour Bernanos comme celui d’une « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ») La France contre les robots.
Mais Notre-Dame, incendiée, est aujourd’hui presque en ruines. Georges Bernanos, le 22 août 1940, écrivit un article intitulé Le front des cathédrales, dans lequel il comparait le front de la ligne Maginot, enfoncé, au « front des cathédrales », Chartres ou Notre-Dame de Paris, dont il se félicitait que celui-ci au moins, contrairement à celui-là, qu’il eût « tenu bon ».
Faut-il croire qu’hier lui aussi, finalement, s’est définitivement effondré ? Georges Bernanos développait ainsi: « Le front des cathédrales est celui du peuple français, je veux dire de cette part encore si grande de notre peuple qui réagit naturellement, selon sa nature, et par des mouvements spontanés, que les jeunes réalistes qualifient dédaigneusement d’ « entraînements sentimentaux » mais qui sont réellement des réflexes héréditaires, formés au cours des siècles, et d’une humanité mille fois plus précieuse que les complexes artificiels dont s’enorgueillissent si comiquement de pauvres petits jeunes gens sans fraîcheur, macérés dans toutes les essences intellectuelles ou spirituelles à la mode, comme des cornichons dans le vinaigre. »
Cette réaction naturelle du peuple français, dans ses « mouvements spontanés (…) qui sont réellement des réflexes héréditaires », nous l’avons vue récemment dans le mouvement des « gilets jaunes » qui était par dessus tout refus de l’humiliation. En cela ils se sont montrés « fils des cathédrales ». Ce n’est pas la première fois que la France est atteinte en son coeur par une destruction de cathédrale. On se souvient que le 6 août 1914 la cathédrale de Reims, coeur historique de la France dans sa tradition royale et chrétienne, est délibérément bombardée par l’armée allemande; « Une horrible main l’a écorchée vive » écrit alors Albert Londres. Toute la France s’en émeut et pas seulement la France catholique. Barrès bien sûr mais aussi Anatole France et Proust. Notre-Dame de Paris avait pourtant jusqu’ici résisté à tout. Tout y compris la Terreur de 1793 (quand les reliques de Sainte Geneviève étaient publiquement brûlées), tout y compris 1871 (quand les dirigeants de la Commune font scier la croix du fronton de Sainte Geneviève et celle du dôme pour les remplacer par des drapeaux rouges mais un délégué de la Commune réussit à convaincre les gardes nationaux de ne pas détruire Notre-Dame) tout y compris l’occupation allemande, si grosse pourtant de menaces et de dangers…
Une carte postale datant de 1914 montre, devant la cathédrale en flammes, Jeanne d’Arc et Guillaume II en posture de confrontation. Quelle sorte de confrontation faudrait-il aujourd’hui figurer au premier plan de Notre-Dame en flammes ? Quel signe sans signature s’agirait-il d’y voir ? Et quelles postures choisira-t-on de prendre dans toutes les tentatives d’explications, de supputations, d’interprétations - y compris les plus folles - pour essayer de déchiffrer l’énigme du désastre ?
Signe et avertissement à Macron peut-être, pour commencer. Macron, le 26 août 2018, a offert au Pape une édition rare du Journal d’un curé de campagne de Bernanos traduit en italien mais Macron, comme à son habitude, agit à contresens de ce qu’il veut faire croire et s’empresse toujours d’avaliser, avec la morgue et l’impudence qui le caractérisent, l’effondrement de tous les fronts, à commencer par celui de la conscience nationale, livrant le pays et son peuple aux Pharisiens de toutes sortes.
Le risque est grand sous une telle « présidence », au cas où il serait possible de réparer les ravages de l’incendie, de vouer la cathédrale Notre-Dame à ne plus être que « curiosité archéologique », selon le mot de Marcel Proust dans son fameux article au Figaro, datant de 1904, peu de temps avant la loi de séparation de l’Église et de l’État ne fût votée, où il adjurait Briand de ne point ôter aux églises l’âme qui leur reste en les désaffectant du culte et des rites qui les animent et en les transformant en « grève desséchée où de géants coquillages ciselés sembleraient comme échoués, vidés de la vie qui les habita, et n’apportant même plus à l’oreille qui se pencherait sur eux la vague rumeur d’autrefois, simples pièces de musée, musées glacés elles-mêmes » où l’on ne respirerait plus que « l’odeur sépulcrale des musées » Le risque est grand donc que Notre-Dame, au cas où elle pourrait être reconstruite, ne soit plus que, au mieux « lieu de mémoire » comme on aime dire aujourd’hui, au pire « centre d’animation culturelle » avant de finir « centre commercial » !…
Puissent les flammes de Notre-Dame être le signe pour notre peuple d’un retour d’ardeur combattante et pour Macron comme un retour de flamme où se brûler, comme à une épreuve de vérité, une ordalie médiévale.